Je suis un chrétien de l’espace damascène, qui le…



2013-09-03

Votre Majesté,
Vos Béatitudes, Saintetés et Eminences,
Vos Excellences,


Mesdames et Messieurs,

Après avoir exprimé mes chaleureux remerciements à Sa Majesté le Roi et au Conseil Royal pour l’invitation qui m’a été faite, il m’est agréable d’adresser, à partir de Amman,  à vous tous et au monde entier, un certain nombre de réflexions, certitudes et espérances qui occupent mon esprit. J’ai l’espoir de porter à votre attention un peu de ce que les chrétiens d’Orient ont été, ce qu’ils sont, et ce qu’ils comptent rester, à savoir une partie intégrante du tissu islamo-chrétien de nos régions.

Je suis venu de Damas, qui abrite à la fois le tombeau de Saladin et celui du prophète Jean (Yahyia). Elle abrite aussi la cathédrale Mariamite dans le voisinage de la mosquée de Omar. Je viens vers vous aussi de Homs, la martyre, ville de saint Elian et de Khaled Ibn Al Walid. Je viens de la blancheur des neiges du Liban et de ses hautes montagnes. Je viens de Beyrouth, cité des lois, et de Tyr, perle du Sud Liban. Je viens vers la noblesse de la Jordanie Hachémite, qui voisine avec la Palestine terre sainte pour les musulmans et les chrétiens. Je viens chez vous pour saluer les rives du Jourdain où le Seigneur Jésus a été baptisé.

Je suis un chrétien de l’espace damascène, qui le premier, a donné aux disciples de Jésus Christ le nom de chrétiens. Je viens donc de cette terre, et je me tiens maintenant en esprit devant la crèche de Bethleem. Je fuis avec Jésus devant Hérode pour me réfugier en la bonne terre d’Egypte. Puis je reviens vers la Palestine, suivant toujours le Christ vers les rives du Jourdain. De là, je L’accompagne vers le lac de Tibériade, puis jusqu’à Sidon, au Sud Liban. Je L’accompagne aussi dans Son chemin de Croix, et je vénère dans Al Qods Al Charif Son tombeau vivifiant. De là, je reviens vers Damas pour assister, près de ses murailles, à la conversion de Paul et à son baptême par Ananie. Je me dirige ensuite vers Antioche pour me qualifier du nom de chrétien, et porter, à partir de son port, en compagnie de Paul, la bonne nouvelle de l’Evangile à l’univers. Tout cela me permet de dire que suis venu de cette terre, que j’y suis né,  que j’y vis, et que je garderai dans mon cœur l’odeur de son humus quand je quitterai cette vie. Je dis tout cela pour affirmer aussi que les chrétiens d’Orient sont enracinés dans cet Orient, tel l’enracinement des pieds d’olivier sur le Mont des Oliviers et celui des Cèdres au Liban.

Cet enracinement veut tout d’abord signifier la bonne convivialité qui caractérise nos relations avec nos frères musulmans avec lesquels nous avons remis en commun notre sort entre les mains de Dieu, et avec qui nous partageons, non seulement un simple compagnonnage, mais une réelle vie commune. Ce n’est pas une camaraderie qui nous lie mais une véritable fraternité. Non une alliance momentanée, mais comme l’atteste l’histoire, une unité qui a résisté aux tentatives de séparation.

Chrétien d’Orient, je veux témoigner avec force de mes relations fraternelles avec mes frères musulmans. Témoigne de ses relations la promesse faite par le Prophète de l’Islam qui a enjoint aux conquérants arabes de bien traiter les chrétiens. En témoigne aussi la sagesse de Omar Ibn Al Khattab qui a refusé l’invitation du Patriarche Sophrone de prier dans l’Eglise de la Résurrection par respect, vénération, sagesse et perspicacité. Je constate ces bonnes relations chez nombre de ministres Omayyades et chez Mansour Ibn Sarjoun et son grand père. Je les constate dans la fraternité qui s’est manifestée le long de notre histoire commune, en dépit des certaines de ses aspérités. Je vois cette fraternité se perdurer dans notre histoire récente, dans la défense de l’Emir Algérien  Abdel Kader des chrétiens de Damas, lors des événements tragiques de 1860. Je la constate dans la main tendue de Grégoire Haddad, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, qui fut la première à saluer l’avènement de l’Emir Faysal et la dernière à lui rendre hommage à la station du Hijaz, à Damas en 1920. C’est à cette occasion qu’il lui a dit : ‘La main qui t’a été tendue le restera pour toujours’. Cette main est aussi tendue vers tout frère musulman pour bâtir ensemble un avenir florissant. Je suis fils d’Antioche qui a ouvert ses églises aux musulmans en 1937, quand leur furent interdites les mosquées de la région d’Alexandrette.

Nous refusons l’utilisation par quiconque, quel que soit son statut, de la religion pour semer la discorde. Et défigurer l’image d’un Islam miséricordieux ou d’un christianisme bâti sur l’amour, tels que nous les avons connus et continuons à les expérimenter. Nous refusons aussi que d’aucuns, quels qu’ils soient, lancent des slogans vides pour saper l’indépendance des Etats. Nous ne sommes pas étrangers en Orient à la Charte des Droits de l’Homme, dont Charles Malek, libanais de naissance, oriental de conviction, et de foi orthodoxe a grandement contribué à l’élaboration.

Pour nous, la religion n’est pas un élément de discorde et de division, mais la voie vers une mise en commun et un rapprochement entre les fils d’une même patrie. Le Coran ne dit-il pas : ‘Ô peuples, Nous vous avons créés, mâle et femelle, et vous avons regroupé en peuplades et en tribus pour vous mieux reconnaître. Le meilleur d’entre vous, aux yeux de Dieu, est le plus dévot d’entre vous’ (Sourate des Hajarat, 13).

Pour notre part, nous n’accepterons pas que la face du Christ devienne étrangère dans l’espace Damascène et dans l’Orient Arabe, ces terres bénies où vécurent les Prophètes. Les chrétiens de cet Orient, ainsi que ses musulmans, sont les deux poumons de notre merveilleux corps oriental, qui ne peut vivre sans l’apport de ses deux poumons. Pour cela, l’émigration des chrétiens hors de cet Orient est une émigration de l’Orient hors de lui-même, et un abandon d’une partie essentielle de son être. De plus, nous avons contribué, chrétiens et musulmans ensemble, de façon significative, à l’élaboration de la civilisation mondiale.

C’est à partir de la Jordanie bien-aimée, ce proche voisin de la Syrie, que je lance cet appel aux Syriens de l’intérieur et de l’extérieur, ainsi qu’à toute la famille internationale dans le monde entier, leur disant : ‘La terre de Syrie a donné au monde la force de la civilisation, non la civilisation de la force. Le monde entier lui en est redevable et à l’ensemble de l’espace Damascène. Il se doit d’œuvrer au rétablissement de la paix dans l’ensemble de la région. Cette région, au cœur de laquelle se trouve la Syrie, a donné au monde l’écriture qui unit, non une culture qui favorise la discorde. N’introduisez donc pas en Syrie la civilisation de la force.

Cultivez-y la logique de la paix. ‘Laissez mon pays vivre’. C’est avec ces mots qu’un des fidèles de mon Eglise a parlé du Liban, il y a un peu plus de trente ans. Voilà que je redis de nouveau ces mêmes mots, à partir de Amman, demandant au monde entier de laisser vivre nos pays et toutes nos patries dans cette région. N’en faites pas un jeu entre les mains des puissants, ni une arène pour leurs intérêts. Faites-en plutôt un phare et une source de lumière pour l’univers. Nous rejetons la logique de la violence, du meurtre et du kidnapping. Nous convions le monde entier à multiplier ses efforts pour la libération des deux évêques kidnappés, Mgr. Boulos (Yazigi) et Mgr. Youhanna (Ibrahim), ainsi que tous les autres kidnappés. Nous le convions travailler de plus belle pour amener les diverses parties à adopter une logique du dialogue, de recherche de solutions politiques, et de refus d’utiliser la religion à des fins de désunion.

Ô mon Dieu, bénis le ciel lumineux de la Jordanie  et sa terre généreuse, et gratifie son peuple et ses gouvernants de l’abondance de Tes dons. Préserve, ô mon Dieu, les jasmins de Damas, et garde la terre syrienne dans la paix et l’unité. Bénis, ô mon Dieu, les cèdres du Liban, et garde ses fils dans Ta paix. Bénis, ô mon Dieu, la terre pure de Palestine, préserve là, et que Ton souffle divin et vivifiant  emplisse l’âme de ses enfants. Garde, ô mon Dieu, la bonne terre d’Egypte, comme Tu l’as gardé quand Tu étais Enfant, et bénis ses habitants, leur donnant de jouir de Ta paix. Préserve, ô mon Dieu, l’Iraq bien aimé, et fais-le profiter de Tes grâces divines. Que Ta paix divine, Seigneur, soit sur le monde entier. Illumine nos âmes en vue du bien de Ta créature et de sa sérénité.

Ô mon Dieu, unifie les cœurs de tous Tes enfants dans l’espace Damascène, et amène-les à rechercher un but commun, comme Tu as fait que les eaux du Jourdain, venant du Golan Syrien, des cimes du Liban Sud et de la Galilée Palestinienne aboutissent au même endroit.
Donne-nous, Seigneur, Ta paix afin qu’elle se transfigure en nous en une paix pour l’univers entier. A Toi appartient toute gloire, aux siècles des siècles. Amen.